La Philosophie (pas toujours sage) de Joann Sfar
La Philosophie (pas toujours sage) de Joann Sfar
Univers
Les contes de Joann Sfar, un Univers mirobolant narré par Esta, Super Lectrice sur izneo
Joann Sfar est un conteur à part. Détenteur d’une grande maîtrise ès philosophie et dés rôlistes, il prétend que le jeu de rôle est plus puissant que le théâtre, la thérapie... et même la prière !
Soupirant amoureux et amateur de monstres, il assigne aux femmes et aux vampires la charge de ses angoisses et de ses peurs d’enfance.
Narrateur d’histoires juives qui s’adressent aussi aux Gentils les pas toujours bien nommés, il réussit à mettre dans les mêmes albums “les croyances populaires et la philosophie, la cohabitation des juifs, des chrétiens et des arabes, l'amour, le désir, l'érotisme, et une grande leçon de tolérance”, d’après un rabbin qui l’avait d’abord taclé sec.
Ce qui marque, dans toutes les séries de Joann Sfar, ce sont ses réflexions sur la vie. La philosophie sfarienne est profonde souvent, irrévérencieuse parfois, mais n’exclut jamais la drôlerie, la sensualité, la poésie ou l’altérité. Tel le Malka des lions - en plus jeune et bien plus follet-, Joann relate des contes pas toujours très sages comme leurs images, mais qui rendent l’esprit curieux et le cœur amoureux.
Sfar, ses meilleures séries, de son enfant intérieur le plus amusé au plus adulte… dans tous les sens du terme.
Soupirant amoureux et amateur de monstres, il assigne aux femmes et aux vampires la charge de ses angoisses et de ses peurs d’enfance.
Narrateur d’histoires juives qui s’adressent aussi aux Gentils les pas toujours bien nommés, il réussit à mettre dans les mêmes albums “les croyances populaires et la philosophie, la cohabitation des juifs, des chrétiens et des arabes, l'amour, le désir, l'érotisme, et une grande leçon de tolérance”, d’après un rabbin qui l’avait d’abord taclé sec.
Ce qui marque, dans toutes les séries de Joann Sfar, ce sont ses réflexions sur la vie. La philosophie sfarienne est profonde souvent, irrévérencieuse parfois, mais n’exclut jamais la drôlerie, la sensualité, la poésie ou l’altérité. Tel le Malka des lions - en plus jeune et bien plus follet-, Joann relate des contes pas toujours très sages comme leurs images, mais qui rendent l’esprit curieux et le cœur amoureux.
Sfar, ses meilleures séries, de son enfant intérieur le plus amusé au plus adulte… dans tous les sens du terme.
Merlin
Avant d’aborder le graphisme très particulier de Joann Sfar - un style qui interpelle, on le conçoit - commençons par son humour de gamin, avec, aux illustrations, le talentueux Jose Luis Munuera (vite se plonger dans Les Campbell, série délirante de piraterie, ou bien encore l’excellentissime Bartleby Le Scribe, dans un tout autre genre).
Les légendes arthuriennes sont déclinées à toutes les sauces mais peu se passent complètement d’Arthur ou imaginent l’enfance de Merlin en p’tit morveux affublé d’un cochon Jean le Bon et d’un ogre mangeur d’enfants converti en vegan dénommé Tartine. Le trio fera ses armes en confrontant un Père Noël qui trouve les mioches à croquer, un Guillaume à la Conquête hasardeuse, un Renart mi-fable mi-roman, Gargantua en couches ou Iseult en héroïne Disney. La magie d’un Sacré Graal à la Tex Avery et aux propos parfois gaillards marche plutôt bien.
Ce conte médiéval se pique de références culturelles variées que l’on prend plaisir à dénicher derrière des joutes oratoires déjantées.
Merlin L'Intégrale - Joann Sfar, José Luis Munuera et Jean-David Morvan - Dargaud
Les légendes arthuriennes sont déclinées à toutes les sauces mais peu se passent complètement d’Arthur ou imaginent l’enfance de Merlin en p’tit morveux affublé d’un cochon Jean le Bon et d’un ogre mangeur d’enfants converti en vegan dénommé Tartine. Le trio fera ses armes en confrontant un Père Noël qui trouve les mioches à croquer, un Guillaume à la Conquête hasardeuse, un Renart mi-fable mi-roman, Gargantua en couches ou Iseult en héroïne Disney. La magie d’un Sacré Graal à la Tex Avery et aux propos parfois gaillards marche plutôt bien.
Ce conte médiéval se pique de références culturelles variées que l’on prend plaisir à dénicher derrière des joutes oratoires déjantées.
Merlin L'Intégrale - Joann Sfar, José Luis Munuera et Jean-David Morvan - Dargaud
Le Ministère secret
Les quotas culturels français n’empêchent pas les Marvel et autres DC de faire des cartons au cinoche. Et les super-héros français, dans tout ça?
Bon, on a bien la Brigade Chimérique de Serge Lehman mais ça ne finit pas toujours bien. Dans le genre politique, nos sauveurs (c’est ça, normalement, le rôle des politiques, non ?), ça serait qui ? Soyons francs, le Grand aux oreilles en feuilles de choux mange ses pissenlits par la racine et le Petit aspirant Gargamel n’a pas encore réussi à se niqaber de la cape de Super Dupont.
Et si … et si … nos anciens présidents Sarkozy et Hollande - oui, ceux des talonnettes et des scooters supersoniques - s’alliaient à un Golem / Hulk de ciment pour mettre la pâtée aux reptiliens et aux ninjas, tout en renvoyant l’homme au torse nu chevaucher son ours et Greta la nattée cueillir ses pâquerettes ? Il paraît que les principaux intéressés ont nié leur participation et feint l’incrédulité.
Nous aussi, remarquez, mais on a bien ri. Et merci Mamie Sapin pour la maison de campagne cthulhuique. Dans le style politico-comédie déjantée, Joann Sfar et Mathieu Sapin sont les rois ! Et tant pis pour le régime présidentiel.
Le Ministère secret - Joann Sfar et Mathieu Sapin - Dupuis
Bon, on a bien la Brigade Chimérique de Serge Lehman mais ça ne finit pas toujours bien. Dans le genre politique, nos sauveurs (c’est ça, normalement, le rôle des politiques, non ?), ça serait qui ? Soyons francs, le Grand aux oreilles en feuilles de choux mange ses pissenlits par la racine et le Petit aspirant Gargamel n’a pas encore réussi à se niqaber de la cape de Super Dupont.
Et si … et si … nos anciens présidents Sarkozy et Hollande - oui, ceux des talonnettes et des scooters supersoniques - s’alliaient à un Golem / Hulk de ciment pour mettre la pâtée aux reptiliens et aux ninjas, tout en renvoyant l’homme au torse nu chevaucher son ours et Greta la nattée cueillir ses pâquerettes ? Il paraît que les principaux intéressés ont nié leur participation et feint l’incrédulité.
Nous aussi, remarquez, mais on a bien ri. Et merci Mamie Sapin pour la maison de campagne cthulhuique. Dans le style politico-comédie déjantée, Joann Sfar et Mathieu Sapin sont les rois ! Et tant pis pour le régime présidentiel.
Le Ministère secret - Joann Sfar et Mathieu Sapin - Dupuis
Petit Vampire
“Tu vois ce qui arrive quand on me brise le cœur". Pour le Gibbous, l’amour est possessif. S’il ne peut avoir la belle Pandora, il la jettera au dieu du Néant. Pandora est prête à donner sa vie à tout homme qui sauvera son enfant. Le Capitaine, le Davy Jones des airs, les sauve in extremis et leur offre la mort-vie éternelle ainsi que la sûreté d’un foyer, agrémentée d’une joyeuse bande de monstres.
Foyer un peu trop sûr d’ailleurs pour Petit Vampire, condamné à ne jamais sortir du refuge: s’ennuyant à mort, il se met en tête d’aller à l’école et se faire des amis. Ça tombe bien, Michel Douffon, un orphelin toujours assis au fond de la classe, a une chambre remplie de figurines de pirates et de vampires. Pour se voir, les deux potes doivent apprendre à désobéir, à éduquer leurs gardiens respectifs et à se fâcher pour mieux s’expliquer. Tous ensemble, ils vont surtout affronter la revanche du Gibbous.
Quand la sagesse et la candeur du monde des monstres rencontrent la tolérance aventurière de celui des vivants, le conte fantastique aborde avec rythme trépidant et humour omniprésent l’amitié, la vertu de la désobéissance et la toxicité de certaines formes “d’amour”.
Petit Vampire - Joann Sfar - Rue de Sèvres
Foyer un peu trop sûr d’ailleurs pour Petit Vampire, condamné à ne jamais sortir du refuge: s’ennuyant à mort, il se met en tête d’aller à l’école et se faire des amis. Ça tombe bien, Michel Douffon, un orphelin toujours assis au fond de la classe, a une chambre remplie de figurines de pirates et de vampires. Pour se voir, les deux potes doivent apprendre à désobéir, à éduquer leurs gardiens respectifs et à se fâcher pour mieux s’expliquer. Tous ensemble, ils vont surtout affronter la revanche du Gibbous.
Quand la sagesse et la candeur du monde des monstres rencontrent la tolérance aventurière de celui des vivants, le conte fantastique aborde avec rythme trépidant et humour omniprésent l’amitié, la vertu de la désobéissance et la toxicité de certaines formes “d’amour”.
Petit Vampire - Joann Sfar - Rue de Sèvres
L’Ancien Temps
La sourcellerie est l’Art de l’eau qui voyage à l’envers. Elle consiste à observer avec malice le cours des choses, sans dompter, sans diriger, sans dévier les envies, les peurs ou les affinités secrètes. Nadège, sourcière aux yeux vairon, rêve d’aventures - de celles des amoureux, pas des chevaliers. Afin de quitter sans blesser Cassian, son fiancé dont le seul vœu est de la marier, elle invente le prétexte d’une quête familiale et mystique, celle de restaurer les anciens dieux. Le Dieu Unique n’est-il pas qu’un ramassis de mensonges infantilisants et maltraitants ? Or, ce dernier ne l’entend pas de cette oreille. Nadège va rencontrer un Roi qui n’embrasse pas, un arbre à l’amour de bois dormant et un géant massacreur de licorne. Elle est suivie secrètement par Cassian, un pur, une sorte de Petit Prince sexué et amoureux, qui ne s’arme que d’un serpent dont il faut se méfier car il dit la vérité.
L'Ancien Temps est à la fois un conte initiatique, pour des héros autant masculins que féminins, et une fable philosophique truculente sur la peur de l’abandon, la beauté de certains mensonges, la possession de l’autre, la pureté des sentiments et la vérité pas si vraie. Que les fans d’épopée épique ne se méprennent pas: dans un grand ralliement quasi tolkienien, de puissantes magies, la sourcellerie, la choséologie et la nombrologie, sonnent le tocsin contre le monothéisme fanatique.
L'Ancien Temps - Joann Sfar - Gallimard BD
L'Ancien Temps est à la fois un conte initiatique, pour des héros autant masculins que féminins, et une fable philosophique truculente sur la peur de l’abandon, la beauté de certains mensonges, la possession de l’autre, la pureté des sentiments et la vérité pas si vraie. Que les fans d’épopée épique ne se méprennent pas: dans un grand ralliement quasi tolkienien, de puissantes magies, la sourcellerie, la choséologie et la nombrologie, sonnent le tocsin contre le monothéisme fanatique.
L'Ancien Temps - Joann Sfar - Gallimard BD
Aspirine
Et la philosophie de vie des vampires ? Franchement, il y a de quoi se faire du mauvais sang, non? Aspirine est une jeune immortelle coincée dans un corps d’adolescente d’abord punk et assez rageur.
Pour se calmer, elle ne crache pas sur les entrailles humaines, notamment celles des amants de sa sœur qui a la volupté, elle, d’une jeune femme qui croque la vie. Lorsqu’on lui ânonne à la Sorbonne que philosopher, c’est apprendre à mourir, elle sort de ses gonds.
Bientôt affublée de Yidgor, son serviteur mi goth mi tchoupi et maître ès Warhammer, Aspirine cherche un cadre pour gérer ses pulsions létales. En un coup de bagues magiques, la question de l’utilité de l’existence devient si térébrante que la fine équipe n’hésitera pas à tromper la mort afin de capturer un dieu enclin à détruire notre monde.
Question troublante : si l’humanité se nourrit de dieu immature, s’empoisonne-t-elle ? Ce qui nous amènera - dans une logique très sfarienne - au coronavirus, à H.P. Lovecraft, à Boris Johnson et aux considérations antispécistes. Alors que le confinement tape sur les nerfs des monstres, en deviennent-ils plus humains ?
Aspirine - Joann Sfar - Rue de Sèvres
Pour se calmer, elle ne crache pas sur les entrailles humaines, notamment celles des amants de sa sœur qui a la volupté, elle, d’une jeune femme qui croque la vie. Lorsqu’on lui ânonne à la Sorbonne que philosopher, c’est apprendre à mourir, elle sort de ses gonds.
Bientôt affublée de Yidgor, son serviteur mi goth mi tchoupi et maître ès Warhammer, Aspirine cherche un cadre pour gérer ses pulsions létales. En un coup de bagues magiques, la question de l’utilité de l’existence devient si térébrante que la fine équipe n’hésitera pas à tromper la mort afin de capturer un dieu enclin à détruire notre monde.
Question troublante : si l’humanité se nourrit de dieu immature, s’empoisonne-t-elle ? Ce qui nous amènera - dans une logique très sfarienne - au coronavirus, à H.P. Lovecraft, à Boris Johnson et aux considérations antispécistes. Alors que le confinement tape sur les nerfs des monstres, en deviennent-ils plus humains ?
Aspirine - Joann Sfar - Rue de Sèvres
La Chanson de Renart
Après le Roman de Renart, sa Chanson ? Le premier, ensemble médiéval de récits animaliers, raconte “les tours et violences dont le goupil Renart est l'auteur, aux dépens des autres animaux du royaume”.
Critiques sociales des classes dominantes ou fables cathartiques, elles se moquent de tout. Pour Joann Sfar, notre époque ressemble au Moyen-Âge, notamment de par la pandémie, le retour du fanatisme religieux et les dirigeants terrifiés par leur peuple.
Dans la Chanson, Renart doit prévenir le monde d’un désastre imminent. La Mort et le Diable ont décidé de s’en prendre à Merlin puis à ses protégés. La fiancée de Merlin, Marie de France, est écrivaine et raconte le monde qui se meurt après la transformation du magicien en granit inerte. Mais que se passera-t-il quand le monde découvrira qu’il n’y a plus de magie pour le protéger ? Entre vérité d’une mort annoncée ou sauvetage grâce au mensonge, Renart le goupil devra ruser. Si trois lettres cabalistiques peuvent se jouer des gifles chrétiennes, pourront-elles réanimer Merlin ? La Chanson de Renart est à situer entre heroïc fantasy, roman médiéval, Chanson de Roland, fables de la Fontaine, tragédie juive et .. concept animalier de Disney..
La Chanson de Renart - Joann Sfar - Gallimard BD
Critiques sociales des classes dominantes ou fables cathartiques, elles se moquent de tout. Pour Joann Sfar, notre époque ressemble au Moyen-Âge, notamment de par la pandémie, le retour du fanatisme religieux et les dirigeants terrifiés par leur peuple.
Dans la Chanson, Renart doit prévenir le monde d’un désastre imminent. La Mort et le Diable ont décidé de s’en prendre à Merlin puis à ses protégés. La fiancée de Merlin, Marie de France, est écrivaine et raconte le monde qui se meurt après la transformation du magicien en granit inerte. Mais que se passera-t-il quand le monde découvrira qu’il n’y a plus de magie pour le protéger ? Entre vérité d’une mort annoncée ou sauvetage grâce au mensonge, Renart le goupil devra ruser. Si trois lettres cabalistiques peuvent se jouer des gifles chrétiennes, pourront-elles réanimer Merlin ? La Chanson de Renart est à situer entre heroïc fantasy, roman médiéval, Chanson de Roland, fables de la Fontaine, tragédie juive et .. concept animalier de Disney..
La Chanson de Renart - Joann Sfar - Gallimard BD
Le chat du rabbin
“J'aime cette idée d’une disputatio continuelle sur la religion, qu'elle soit juive, chrétienne ou musulmane. Le tout mené par un chat qui parle ! Il n'a pas sa langue dans sa poche, mon matou. C'est un esprit libre. En cela, il est très voltairien”, se délecte Joann Sfar.
Un voltairien ubuesque de l’Algérie des années 1930, qui demande à faire sa bar-mitsva par amour de sa maîtresse, la jeune et belle Zlabya. Le chat du rabbin est d’ailleurs affublé du don de la parole dès qu’il avale le perroquet de la maisonnée, tout un symbole !
“Ce chat ment quand il ne faut pas et dit la vérité uniquement quand elle fait de la peine”, se lamente le rabbin, érudit et atypique, et surtout bourré de défauts comme on les aime. Mais le chat n’est ni pour ou contre, il invite à penser différemment.
Rien n’y échappe : entre les désirs secrets, les vieux lions qui font (presque) peur, les serpents qui mordent par bonté d’âme, la pureté du foyer et les femmes qui se coupent les cheveux, la vaisselle pour le lait et celle pour la viande, la compétition pour la longueur des barbes, les petites haines religieuses entre amis et les grands tueries historiques, “C'est la notion de Vérité qui éclate en mille morceaux”, avoue un rabbin de France, un vrai de vrai contemporain, Marc-Alain Ouaknin.
Le Chat du Rabbin, “c’est un récit qui questionne d'emblée l'image elle-même, qui interroge la représentation et son pseudo interdit”.
Alors, la série phare de Sfar, des Fables de la Fontaine revisitées, intelligentes, impertinentes et pleines d’humour ?
Certainement de quoi nous donner envie de (re)trouver notre chat intérieur…
Le chat du rabbin - Joann Sfar - Dargaud
Un voltairien ubuesque de l’Algérie des années 1930, qui demande à faire sa bar-mitsva par amour de sa maîtresse, la jeune et belle Zlabya. Le chat du rabbin est d’ailleurs affublé du don de la parole dès qu’il avale le perroquet de la maisonnée, tout un symbole !
“Ce chat ment quand il ne faut pas et dit la vérité uniquement quand elle fait de la peine”, se lamente le rabbin, érudit et atypique, et surtout bourré de défauts comme on les aime. Mais le chat n’est ni pour ou contre, il invite à penser différemment.
Rien n’y échappe : entre les désirs secrets, les vieux lions qui font (presque) peur, les serpents qui mordent par bonté d’âme, la pureté du foyer et les femmes qui se coupent les cheveux, la vaisselle pour le lait et celle pour la viande, la compétition pour la longueur des barbes, les petites haines religieuses entre amis et les grands tueries historiques, “C'est la notion de Vérité qui éclate en mille morceaux”, avoue un rabbin de France, un vrai de vrai contemporain, Marc-Alain Ouaknin.
Le Chat du Rabbin, “c’est un récit qui questionne d'emblée l'image elle-même, qui interroge la représentation et son pseudo interdit”.
Alors, la série phare de Sfar, des Fables de la Fontaine revisitées, intelligentes, impertinentes et pleines d’humour ?
Certainement de quoi nous donner envie de (re)trouver notre chat intérieur…
Le chat du rabbin - Joann Sfar - Dargaud
Klezmer
Klezmer, c’est le jazz du yiddish. Yaacov, Vincenzo, Hava, Tchokola et le Baron forment un groupe musical impromptu et improbable, une bande de libres-penseurs dont il peut être dit que “L’Eternel est tout de même rassuré quand ses créatures cessent d’accorder foi à des chimères”.
Mais Klezmer, c’est aussi le revers de la médaille du Chat du Rabbin. Des steppes glacées à Odessa l’Ukrainienne, la bande se rapproche de Kishinev, le « petit » pogrom russe de 1903 qui changea le cours de l’histoire. Devenu le synonyme des pires horreurs de la persécution de la diaspora, Les mouvements politiques du monde entier prirent note de cette tragédie devenue emblématique – menant autant à la pratique d’auto-défense juive et à l’influence du sioniste Jabotinsky qu’à la propagation des Protocoles des Sages de Sion, document antisémite relatant un complot mondial juif, en réalité un faux fabriqué par l'Okhrana, la police tsariste qui figurèrent par la suite au centre de la propagande du IIIème Reich.
Odessa subira le même sort en 1905. “Klezmer est une musique au temps déchiré, une musique en haillons, une musique en rouge et blanc, sang sur neige, qui a l’humour et la nostalgie du grand philosophe Charlie Chaplin”, joue sobrement l’archet de Marc-Alain Ouaknin. “Si on prend conscience que ceux du pays d’ashkenaz n’existent plus du tout, on peut sans doute donner aux chants klezmer une valeur qui dépasse le folklore. L’histoire du Klezmer, c’est l’angoisse des morts que les survivants portent en eux” ajoute Sfar.
Une histoire qui porte aussi en elle le projet “fou” de faire aimer les Juifs. Il faut souligner, telle une évidence vitale, que tout le monde, tout le temps, est amoureux de Hava. La pulsion de vie est, peut-être, la meilleure réponse aux pulsions de mort.
Klezmer - Joann Sfar - Gallimard BD
Mais Klezmer, c’est aussi le revers de la médaille du Chat du Rabbin. Des steppes glacées à Odessa l’Ukrainienne, la bande se rapproche de Kishinev, le « petit » pogrom russe de 1903 qui changea le cours de l’histoire. Devenu le synonyme des pires horreurs de la persécution de la diaspora, Les mouvements politiques du monde entier prirent note de cette tragédie devenue emblématique – menant autant à la pratique d’auto-défense juive et à l’influence du sioniste Jabotinsky qu’à la propagation des Protocoles des Sages de Sion, document antisémite relatant un complot mondial juif, en réalité un faux fabriqué par l'Okhrana, la police tsariste qui figurèrent par la suite au centre de la propagande du IIIème Reich.
Odessa subira le même sort en 1905. “Klezmer est une musique au temps déchiré, une musique en haillons, une musique en rouge et blanc, sang sur neige, qui a l’humour et la nostalgie du grand philosophe Charlie Chaplin”, joue sobrement l’archet de Marc-Alain Ouaknin. “Si on prend conscience que ceux du pays d’ashkenaz n’existent plus du tout, on peut sans doute donner aux chants klezmer une valeur qui dépasse le folklore. L’histoire du Klezmer, c’est l’angoisse des morts que les survivants portent en eux” ajoute Sfar.
Une histoire qui porte aussi en elle le projet “fou” de faire aimer les Juifs. Il faut souligner, telle une évidence vitale, que tout le monde, tout le temps, est amoureux de Hava. La pulsion de vie est, peut-être, la meilleure réponse aux pulsions de mort.
Klezmer - Joann Sfar - Gallimard BD
Chagall en Russie
Ce conte - une suite sans l’être de Klezmer après Kishinev - ne raconte pas la vie de Chagall. Il couvre son temps de directeur artistique à Vitebsk d’un regard sfarien.
C’est surtout “une histoire de coups de pieds aux fesses et de coups de bottes en pleine tronche”. Drôle de définition pour un pogrom. Drôle de contexte révolutionnaire et sanglant pour la mise hors-jeu d’un dessinateur amoureux qui essaie d’obtenir la main de sa belle en montant un théâtre yiddish pour lequel il n’est pas fait.
Parfois, l’idée de l’amour rend aveugle à l’être aimé. Alors, quand un Golem au couteau sacrificiel ravit la belle, qu’un dénommé Jésus-Christ veut mettre le grappin sur les apicorètes Loubavitch, et que les instincts sanguinaires des troupes blanches se réveillent de manière “théâtrale”, la seule façon de sauvegarder les morts pourrait bien être de les mettre à l’abri dans un tableau.
Ce conte ne sert à rien, proclame Joann Sfar. Non, peut-être. Mais les massacres non plus.
Chagall en Russie - Joann Sfar - Gallimard BD
C’est surtout “une histoire de coups de pieds aux fesses et de coups de bottes en pleine tronche”. Drôle de définition pour un pogrom. Drôle de contexte révolutionnaire et sanglant pour la mise hors-jeu d’un dessinateur amoureux qui essaie d’obtenir la main de sa belle en montant un théâtre yiddish pour lequel il n’est pas fait.
Parfois, l’idée de l’amour rend aveugle à l’être aimé. Alors, quand un Golem au couteau sacrificiel ravit la belle, qu’un dénommé Jésus-Christ veut mettre le grappin sur les apicorètes Loubavitch, et que les instincts sanguinaires des troupes blanches se réveillent de manière “théâtrale”, la seule façon de sauvegarder les morts pourrait bien être de les mettre à l’abri dans un tableau.
Ce conte ne sert à rien, proclame Joann Sfar. Non, peut-être. Mais les massacres non plus.
Chagall en Russie - Joann Sfar - Gallimard BD
Si Dieu existe
“Si Dieu existe, il ne tue pas pour un dessin”, assène le Chat après le massacre de Charlie Hebdo.
“A chaque fois que j’ai recommencé des carnets, c’est parce que j’étais en travaux. Il y avait des brisures à colmater”, reprend Joann Sfar. Réaliste mais sans haine, il dessine ses pensées en mode conversations au café entre amis, autant sur Charlie que sur la capoeira, les mannequins de mode, Cabu ou Trénet.
Bon, d’accord, parfois, ses conversations se font avec une rabbine amante imaginaire. Venant de quelqu’un voulant surtout vivre une grande histoire d’amour et tout envoyer valser, ses vues humanistes sur le terrorisme tendent pourtant la main aux pratiquants victimes de l’idéologie assassine et tordent le cou à certaines idées religieuses de tous bords.
S’il constate qu’en face d’évènement tragiques, les mots n’ont pas le même sens pour tout le monde, il émet une idée brillante : quid de vénérer Kahena, une déesse berbère guerrière, plus vieille et plus belle que les dieux barbus, et plus sage surtout ? Enfin, sage à la Sfar !
Carnets de Joann Sfar. Si Dieu existe - Joann Sfar - Delcourt
“A chaque fois que j’ai recommencé des carnets, c’est parce que j’étais en travaux. Il y avait des brisures à colmater”, reprend Joann Sfar. Réaliste mais sans haine, il dessine ses pensées en mode conversations au café entre amis, autant sur Charlie que sur la capoeira, les mannequins de mode, Cabu ou Trénet.
Bon, d’accord, parfois, ses conversations se font avec une rabbine amante imaginaire. Venant de quelqu’un voulant surtout vivre une grande histoire d’amour et tout envoyer valser, ses vues humanistes sur le terrorisme tendent pourtant la main aux pratiquants victimes de l’idéologie assassine et tordent le cou à certaines idées religieuses de tous bords.
S’il constate qu’en face d’évènement tragiques, les mots n’ont pas le même sens pour tout le monde, il émet une idée brillante : quid de vénérer Kahena, une déesse berbère guerrière, plus vieille et plus belle que les dieux barbus, et plus sage surtout ? Enfin, sage à la Sfar !
Carnets de Joann Sfar. Si Dieu existe - Joann Sfar - Delcourt
Si j’étais une femme, je m’épouserais
Ou la psychanalyse Lindt (à l’état brut mais avec moments de douceur) de Joann Sfar ! Certes, le titre de l’album peut paraître impudent. Et c’est ce qui attire, d’ailleurs. L’étalement de vulnérabilité sans fard et sans tabou (!) n’en est que plus étonnant. Un album déboussolant, on cherche souvent le nord et on conjure l’auteur de vite “s’aimanter”.
Et pourtant ….“Si je ne dessine pas pour une femme, moi je fais grève”, clame sans compromis celui qui peine à se relever de la rupture avec son amoureuse. “L’abandon” féminin, Joann Sfar connaît déjà, ayant perdu sa mère à l’âge de 3 ans. On peut renaître sans mère, affirme-t-il, même s’il a eu un jour peur que son père sache tuer.
Pour s’en sortir, il dessine sa thérapie. Il parle masque, celui qui fait qu’il obtient tout lorsqu’il le porte et sans lequel il est considéré comme insupportable; celui qu’aiment les femmes qui ne respectent guère la fragilité intrinsèque; celui des mots derrière lesquels il se réfugie, qu’il débite telle une mitraillette tant il “oscille entre les batailles vécues et celles qu’il imagine”.
Le monde n’a aucun sens, d'après lui et seules les histoires que l’on se raconte peuvent le rendre supportables. Alors quelle porte de sortie pour l’homme éternellement amoureux ? “On ne s’en sortira que par la puissance d’un autre corps amoureux. Il faut, et c’est rare, qu’il ait la même force d'apaisement.” Puis, enfin, à la fin, à la toute fin, vient une autre définition du mot sincérité.
Si j’étais une femme, je m’épouserais - Joann Sfar - Marabout
Et pourtant ….“Si je ne dessine pas pour une femme, moi je fais grève”, clame sans compromis celui qui peine à se relever de la rupture avec son amoureuse. “L’abandon” féminin, Joann Sfar connaît déjà, ayant perdu sa mère à l’âge de 3 ans. On peut renaître sans mère, affirme-t-il, même s’il a eu un jour peur que son père sache tuer.
Pour s’en sortir, il dessine sa thérapie. Il parle masque, celui qui fait qu’il obtient tout lorsqu’il le porte et sans lequel il est considéré comme insupportable; celui qu’aiment les femmes qui ne respectent guère la fragilité intrinsèque; celui des mots derrière lesquels il se réfugie, qu’il débite telle une mitraillette tant il “oscille entre les batailles vécues et celles qu’il imagine”.
Le monde n’a aucun sens, d'après lui et seules les histoires que l’on se raconte peuvent le rendre supportables. Alors quelle porte de sortie pour l’homme éternellement amoureux ? “On ne s’en sortira que par la puissance d’un autre corps amoureux. Il faut, et c’est rare, qu’il ait la même force d'apaisement.” Puis, enfin, à la fin, à la toute fin, vient une autre définition du mot sincérité.
Si j’étais une femme, je m’épouserais - Joann Sfar - Marabout
Le Petit monde du Golem
“Ceux qui n'ont pas de problèmes de survie occupent leur temps libre en histoires d'amour. Ceux qui ont réglé leurs problèmes d'amour se tournent vers des préoccupations orgueilleuses, carriéristes. Enfin, ceux qui ne sont ni affamés, ni amoureux, ni préoccupés par leur ego commencent à s'ennuyer. Ou à philosopher. Non, les philosophes aussi sont orgueilleux. Et amoureux. Si tu ne te rends pas compte que chaque instant de vie donne du bonheur parce qu’il est unique, je ne peux rien pour toi.”
Voilà les leçons cocasses et farfelues, libres et poétiques, auxquelles vont se confronter Michel Douffon, son ami Vincent Ehrenstein au visage kafkaïen, un Golem au mélange boue-eau pas très équilibré, Fernand le vampire dépressif et humaniste plaqué par sa belle, la Mandragore dont la mission est de séduire l’homme-arbre amoureux de la fiancée de Fernand, et le pervers arrêté par Humpty Dumpty.
Ce conte-là, l’un des premiers de l’auteur, est une sorte de prémisse, un frémissement des thèmes futurs. C’est pour cela qu’il figure à la fin.
Le Petit monde du Golem - Joann Sfar - L'Association
Voilà les leçons cocasses et farfelues, libres et poétiques, auxquelles vont se confronter Michel Douffon, son ami Vincent Ehrenstein au visage kafkaïen, un Golem au mélange boue-eau pas très équilibré, Fernand le vampire dépressif et humaniste plaqué par sa belle, la Mandragore dont la mission est de séduire l’homme-arbre amoureux de la fiancée de Fernand, et le pervers arrêté par Humpty Dumpty.
Ce conte-là, l’un des premiers de l’auteur, est une sorte de prémisse, un frémissement des thèmes futurs. C’est pour cela qu’il figure à la fin.
Le Petit monde du Golem - Joann Sfar - L'Association
Joann Sfar: «J'aime quand c'est colossal!»
..déclare-t-il au quotidien suisse 24heures lors de sa visite au Cartoonmuseum de Bâle. Dessinateur compulsif, créateur de jeux, cinéaste, écrivain, chroniqueur et peintre, Sfar est boulimique de création. Ses compagnes admettent volontiers que Sfar est un anxieux qui se soigne.Ancien rôliste, il a lancé son propre jeu, baptisé Monstres, conçu comme une revanche sur la censure. Pour lui, le jeu de rôle est le meilleur moyen de développer sa personnalité. Depuis toujours il voit des monstres partout, avoue-t-il au Figaro. “J’ai la conviction qu’incarner un monstre dans un contexte familier peut permettre de prendre du recul et de résoudre certaines situations. Le but du jeu n’est pas de sauver le monde, mais de trouver sa place dans cet univers. De défendre sa petite famille monstrueuse et de survivre, tout simplement”.
Le cinéma a changé son rapport à l’image, avoue-t-il aux Inrockuptibles après avoir écrit et réalisé Gainsbourg (vie héroïque). “Soit je dessine plus réaliste parce que je prends en compte le fait qu’on ne peut pas tout faire entrer dans un cadre, soit au contraire je mesure l’espace de liberté que constitue un dessin et je tords encore plus le truc.”
Quel que soit le support, Sfar multiplie les références et les détourne. Pour L’Ancien Temps, par exemple, il parle Robin des Bois, symbolisme classique, Tolkien et heroic-fantasy qu’il a cependant voulu “dépoussiérer de son folklore celto-pénible”. “L’intérêt de ce type de légende est de n’être jamais loin de la tragédie. Nous sommes dans le trauma, le complexe, le sentiment vrai d’un enfant face au monde.”
Sfar est tellement prolifique qu’il faudrait plusieurs univers Izneo pour tout couvrir. Il faudrait également parler de son roman “Le plus grand philosophe de France”. Deux pistes supplémentaires de réflexion, cependant, pour conclure: 1. “Mes histoires sont toujours des récits pour survivre. Quand on parle d’initiation, quand on s’adresse à un jeune public, on a à coeur de l’armer un peu face au monde.”2. Joann Sfar a su plier le genre à ses codes tout en y ajoutant un ingrédient qui traverse toute son œuvre mais est souvent absent des récits épiques anglo-saxons : le sentiment amoureux. (Anne-Claire Norot, les Inrockuptibles)
Le cinéma a changé son rapport à l’image, avoue-t-il aux Inrockuptibles après avoir écrit et réalisé Gainsbourg (vie héroïque). “Soit je dessine plus réaliste parce que je prends en compte le fait qu’on ne peut pas tout faire entrer dans un cadre, soit au contraire je mesure l’espace de liberté que constitue un dessin et je tords encore plus le truc.”
Quel que soit le support, Sfar multiplie les références et les détourne. Pour L’Ancien Temps, par exemple, il parle Robin des Bois, symbolisme classique, Tolkien et heroic-fantasy qu’il a cependant voulu “dépoussiérer de son folklore celto-pénible”. “L’intérêt de ce type de légende est de n’être jamais loin de la tragédie. Nous sommes dans le trauma, le complexe, le sentiment vrai d’un enfant face au monde.”
Sfar est tellement prolifique qu’il faudrait plusieurs univers Izneo pour tout couvrir. Il faudrait également parler de son roman “Le plus grand philosophe de France”. Deux pistes supplémentaires de réflexion, cependant, pour conclure: 1. “Mes histoires sont toujours des récits pour survivre. Quand on parle d’initiation, quand on s’adresse à un jeune public, on a à coeur de l’armer un peu face au monde.”2. Joann Sfar a su plier le genre à ses codes tout en y ajoutant un ingrédient qui traverse toute son œuvre mais est souvent absent des récits épiques anglo-saxons : le sentiment amoureux. (Anne-Claire Norot, les Inrockuptibles)
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